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l'Enchanteur (notes)


En février, je suis retournée auprès de Jean-Jacques pour reprendre l'écriture d'un documentaire que je fais sur lui. Je suis allée seule en observation dans l'un de ses bois.

27 février, bois des châtaigners.

On se rend à ce bois en voiture. Le trajet n’est pas long depuis la maison de Jean-Jacques : quelques 10 minutes. Passés les deux ronds-points d’accès à l’autoroute, on entre dans la campagne. Des champs en dormance bordent la route. On passe une très belle ferme berrichonne, quelques petites maisons anciennes et très vite les maisons nouvelles apparaissent au loin. On traverse Méreau : village de ville aux maisons blanches et identiques reliées par une rue parfaitement goudronnée et sécurisée par des dos d’âne. Méreau s’étire le long de la départementale que l’on quitte rapidement pour à nouveau partir sur des chemins de campagne : ceux qui ne laissent pas la place à deux véhicules de se croiser. Une fois l’étang passé et avant une ferme, on tourne à gauche, on longe le mur et on roule doucement pour ne pas heurter de caillou car ici la route est devenu chemin creusé sous le poids d’engins agricoles. A droite un faussé et le mur en brique, pierres et lierre de la ferme. À gauche un immense champs. Il ne faut plus faire de bruit, ne pas claquer la portière, ne pas parler, appeler, tousser. Mais l’atmosphère ambiante n’appelle pas à autre chose. Il est 18h. Quelques voitures passent. Une ou deux, mais elles sont au loin : leur passage est un souffle. L’atmosphère s’est légèrement bleuie. Les contours du paysage s’estompent avec l’humidité hivernale.


Le bois des châtaigners est à 300m après le champs.

Le blé a commencé à pousser, mais la terre est gelée, elle craque sous les pas.


Le champ est vaste et plat comme le reste du paysage, vert acide et jaune sable en stries régulières. Les bois au loin cassent la ligne d’horizon, la brouillent et l’assombrissent. Rectitude horizontale contre fouillis vertical.


La sensation de solitude est immédiate au milieu du champ, et inquiétante car illusoire. Le champs dégagé laisse paraître les empruntes figées des passages d’animaux : sangliers, chevreuils, renards. Eux aussi suivent un chemin précis qui les emmène d’un bois à l’autre, d’un terrier à l’autre.


Je ne traverse pas le bois, je le contourne. Deux raisons à cela : la direction du vent qui répandrait mon odeur et les bruits de mes pas vers le bois, faisant fuir les animaux. Je ne sais pas non plus retrouver seule les « coulées » de Jean-Jacques. Une coulée est un chemin tracé par les passages répétés de la faune. Jean-Jacques a créé lui même d’étroits passages qui l’emmènent jusqu’à ses miradors.


Le bois des châtaigners est un tout petit bois : à peine plus d’un hectare, mais sa densité le rend impressionnant. Un rideau de théâtre. Du plateau nu, nous arrivons face à un écran gigantesque et épais fait de troncs, branchages, halliers.


Le bois longe une rivière. Une voie a été dégagée à cet endroit. Quelques ronces et deux rouleaux de tracteurs abandonnés sont les seuls obstacles. Au bout du chemin, l’immense mirador construit par Jean-Jacques. Il doit faire 4 ou 5 mètres de haut, entièrement construit de ses seules mains à partir des arbres du bois. Le mirador, en lisière de forêt, fait face à un bout de champ encadré par un étang et un autre bois.


On accède à la plateforme par une échelle. La plateforme est large, c’est à dire que l’on y tient à deux, et protégée par des panneaux en bois hauts d’un mètre vingt et d’un toit en taule. Le reste est ouvert aux vents. Une planche en bois est en attente sur un côté du « mur ». Une fois entrée dans le poste d’observation, on la positionne pour qu’elle serve de siège. Jean-Jacques a surélevé la planche en y fixant des tasseaux de 1cm. La hauteur parfaite pour lui. Sur un autre côté du poste, repose un bâton long que je pense être une canne. C’est en réalité un bâton dont Jean-Jacques se sert pour poser son coude et ainsi être parfaitement stable en position de tir.


Du haut du mirador, on voit loin. Au delà du champs et de l’étang on devine une route par les voitures qui y passent. Encore un peu plus loin, ce que je sais être une grande propriété agricole, mais qui n’est pas vraiment distinguable. Et d’autres champs, principalement des champs.


Une fois passé les bruits de l’installation, on est frappé par le silence ou plutôt par tous ces bruits inaudibles en dehors d’une écoute attentive. Quelques machines humaines au loin, les aboiements d’un chien, ceux plus sec d’un chevreuil. Et les oiseaux bien sûr. En hiver la plupart sont silencieux. Les plus bruyants sont les merles, les canards et les poules d’eau. Le merle chante quand il s’envole, les canards conversent. À un moment tous se taisent et les « pi ! pi ! pi ! » des petits merles prennent la suite. Le silence révèle aussi les mouvements des feuilles sur le sol. Un petit animal fouille quelque part. Je l’entends très distinctement, mais je ne peux pas le voir. Je ne verrais aucun animal ce soir-là.


La nuit est tombée, la campagne n’est plus que contours d’ombres plus ou moins estompés par la lueur de la lune. Pour le chemin du retour je prends le raccourcis en ne contournant pas le bois. Je n’ai pas l’habitude de la campagne en solitaire et l’absence de Jean-Jacques rend ces lieux intimidants. Comme lui, je repars sans m’aider d’une lampe. Tout me semble alors impressionnant : l’espace, les étoiles, le sol irrégulier sous mes pieds, la possibilité d’être là, hors des lieux réservés aux humains. Ces lieux-là se sont transformés en être fantastiques, lucioles éphémères, bâtiments futuristes clignotants. Au milieu du champs comme au milieu de nulle part, mais très loin du sauvage.

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